Repenser les réparations de l'esclavage africain comme un ramatriement

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Pour lancer notre nouveau projet financé par le Conseil de Recherches en Arts et en Sciences Humaines (AHRC) sur le thème "Repenser les réparations pour l'esclavage africain en tant que réparations culturelles, cultuelles et environnementales", le Réseau international de chercheurs et de militants pour les réparations africaines (INOSAAR) a organisé un atelier de trois heures le 15 juillet 2021, intitulé "REMATRIATION : Repenser les réparations pour l'esclavage africain en tant que réparations envisagées par les Pan-Africain.e.s mettant en évidence le retour culturel, cultuel et environnemental à la Terre Mère". Notre objectif était d'explorer et de définir deux domaines clés de la lutte pour la justice réparatrice pour la traite transocéanique et l'esclavage des peuples africaines.  

Le premier concerne les processus par lesquels les descendants de ceux et celles qui ont été déplacé.e.s de force d'Afrique sont capables de rétablir leurs liens culturels et cultuels avec la Terre Mère sur leur continent mère d'Afrique ; un processus connu sous le nom de "ramatriement". Il s'agit d'un concept indigène qui fait référence à la restauration d'une culture matérielle vivante à sa véritable place sur la Terre Mère ; à la restauration d'un peuple à un mode de vie spirituel, en relation sacrée avec ses terres ancestrales ; et à la récupération des restes, de la spiritualité, de la culture, des connaissances et des ressources ancestrales. 

La deuxième concerne la manière dont les luttes pour la justice réparatrice sont sous-tendues par le besoin de "réparations planétaires" (Planet Repairs) et le rôle que la culture et le savoir africains peuvent jouer en contribuant aux mouvements de justice sociale écologique et réparatrice plus largement.   LPar « réparations planétaires », nous désignons la nécessité de réparer d’une manière holistique notre relation avec la Terre, l’environnement et le « plurivers », dont il est impératif de ne pas nous dissocier. Ce faisant, nous nous inscrivons à contre-courant de la vision prônée par la philosophie occidentalocentrée des Lumières, qui fut à l’origine d’une séparation entre humanité et nature ayant justifié l’exploitation à des fins d’accumulation du capital.  

Dans le cadre de ces deux larges définitions, nous avons demandé à nos participants et à nos intervenants de réfléchir à la pertinence du ramatriement dans leur travail, à ses possibilités et à ses défis, ainsi qu'à ses modèles et exemples, par opposition aux "programmes de retour au pays" ou au rapatriement menés par les gouvernements. Nous leur avons également demandé de réfléchir à la mesure dans laquelle l'indigénat africain lui-même est menacé et pourquoi cela devrait être important pour les communautés du patrimoine africain dans la diaspora, ainsi que le besoin de ramatriement non seulement dans la diaspora, mais aussi sur le continent. Enfin, nous nous sommes interrogé.e.s sur le rôle que peuvent jouer les cultures et les savoirs africains dans la contribution aux mouvements de justice écologique et réparatrice. 

L'atelier a débuté par des libations offertes par le Dr Tony Van der Meer (Université du Massachusetts, Boston, États-Unis), tandis que la session était présidée par le professeur Joyce Hope Scott (Université de Boston, États-Unis).  

Pour commencer, Aura Carreno Caicedo (étudiante afro-colombienne et membre du réseau de solidarité internationaliste Extinction Rebellion) a présenté sa vidéo et sa performance orale "Malaika". Aura a expliqué qu'elle avait créé ce poème émouvant à partir de ses expériences à l'école, où son identité de femme afro-colombienne était soit non reconnue, soit associée uniquement à une figure noire anonyme et asservie. Cette négation de son identité l'a conduite à créer ce poème comme une forme d'auto-réparation, lui permettant d'exprimer ses pensées et ses sentiments sur l'effacement et la non-reconnaissance. "Malaika", dit-elle, "est une action, un verbe" qui conteste le processus de négation en revendiquant son identité et en la reliant à la riche ascendance de ses racines africaines.  

Yvette Modestin (écrivaine, poète et activiste qui se concentre sur les expériences des descendants d'Africains en Amérique latine, et fondatrice et directrice exécutive de Encuentro Diaspora Afro à Boston, MA, USA) a répondu au poème d'Aura par son propre poème, intitulé "An Ode to Mi Corona" [ma couronne]. Pour elle, le ramatriement consiste à réclamer la couronne sur nos têtes, tout en ancrant nos pieds dans la résilience. "L'art et l'écriture guérissent", dit-elle, "enracinant le moi dans notre esprit africain". Elle a raconté comment un "poème est apparu" dans un moment de profond chagrin, l'aidant à guérir, et comment la poésie est un moyen de "tomber amoureux de qui nous sommes et d'où nous venons". "Nous sommes une Amérique de personnes d'origine africaine et indigène" et nous devrions être "unapologetically African, unapologetically Black". Son travail créatif est dirigé par l'IFA, une force spirituelle qui lui permet de récupérer sa couronne. Le symbole de la couronne, lié aux cheveux et aux mèches, est la force (Asé) qui nous permet de reprendre des forces chaque jour. C'est l'antenne qui guide notre vie. 

Elle a parlé de la réparation comme d'une chose qui est toujours représentée (de l'extérieur) comme "radicale", mais comment cette étiquette de radicalisme est une idée imposée qui nous impose un conflit. Au lieu de cela, "nous devons trouver un lieu de paix" et comprendre que le ramatriement en tant que réparation consiste à se reconnecter et à s'ancrer pour atteindre la paix, conformément à la pensée philosophique et spirituelle des Rastafaris. "Notre combat est le même où que nous soyons dans le monde". 

À partir de la poésie, nos orateurs/trices nous ont amené.e.s à réfléchir au ramatriement en tant que pratique et processus concret. Nana Kojo Asare Bonsu (MAATUBUNTUMITAWO Global Afrikan Family Reunion International Council) a commencé par parler de ses diverses visites au Ghana en tant que Jamaïcain et de sa frustration de devoir toujours obtenir un visa. Kofi Mawuli Klu a suggéré une autre voie en encourageant Kojo à faire partie d'une communauté africaine indigène sous la direction de l'un des chefs suprêmes du Ghana, Osei Adza Tekpor VII. Ce n'était pas un processus rapide, mais il lui a fallu investir du temps et de l'énergie pour désapprendre, réapprendre et s'auto-apprendre pour s'auto-réparer. Il a appris à quel point il appartenait à un peuple qui avait été opprimé. Lors d'une visite au château d'Elmina, il a raconté avoir senti des choses sous ses pieds et avoir vu des personnages du monde spirituel se déplacer dans le lieu ; sa femme s'est mise à gémir, alors qu'ils revivaient le traumatisme de ceux et celle qui avaient traversé ce lieu d'horreur.  

Le voyage vers le ramatriement a signifié revenir à ce traumatisme, puis se confronter à la réalisation qu'il n'y a pas de droit automatique au retour et qu'il y a une résistance et des obstacles (politiques) au processus même du retour. Cependant, il existe une solution dans le rôle clé que peuvent jouer les chefferies africains pour réparer les dommages causés par l'imposition de frontières coloniales en Afrique. Kojo est maintenant ramatrié après avoir été pleinement accueilli dans une communauté africaine indigène sous la chefferie d'Osei Adza Tekpor VII et en être devenu membre. 

Le Dr Debra Boyd (professeur et auteur de Wax Prints of the Sahel : Cloth Portraits of Contemporary African History, 2021) a maintenu notre attention sur l'importance de l'indigénat africain. Elle a cherché des informations sur le "ramatriement" en préparation de l'atelier, mais elle est revenue sans cesse sur le rapatriement. Elle a fait remarquer que cela faisait écho à ses propres études sur la littérature nigérienne (du Niger), qui était toujours considérée comme de la littérature nigériane (du Nigeria), l'une occultant l'autre. Pour elle, Rematriation est centré sur le rôle des femmes africaines et leur récupération des ressources naturelles de la Terre Mère.  

Elle se concentre sur le coton et la production de textiles, notamment les impressions à la cire africaine. Le coton a une histoire industrielle directement liée à l'asservissement des Africain.e.s, mais il s'agit également d'une tradition artisanale africaine. "Le coton", dit-elle, "est une fibre qui a changé le monde, qui était connue comme l'or blanc, qui était touchée par les doigts des femmes qui étaient assez petits pour manipuler ses graines pointues". D'un point de vue artisanal, cependant, la relation des femmes au coton, dont elles sont les principales productrices, fait partie d'une histoire et d'une tradition importantes et négligées au Sahel. Dans ce cas, le tissu est lié au pouvoir féminin et aux valeurs sacrées que les gens ont investies dans les textiles. "Le tissu parle", dit-elle. Il s'agit d'une forme de texte, d'où le nom de "text-ile". De plus, "le tissu continue de parler après la mort", les empreintes de cire africaines racontant les histoires de l'histoire et de la culture africaines. Le tissu devient un moyen de communiquer et de préserver ces histoires, jouant un rôle social et politique important qui peut être utilisé comme un outil idéologique et pédagogique. Cependant, cette pratique indigène africaine est aujourd'hui menacée par des concurrents extérieurs qui cherchent à reproduire et à produire du tissu à bas prix, mais sans aucun avantage économique pour l'Afrique.  

Après avoir écouté "Osun" (un chant yoruba chanté par les personnes de la diaspora), Ras Cos Tafari (équipe de l'exposition Rastafari in Motion) a expliqué comment les conversations qui ont eu lieu dans l'atelier reflétaient toutes la conscience rastafari, notant que l'atelier était "comme une expérience spirituelle". Le ramatriement consiste à "réclamer sa divinité" et il ne faut pas l'oublier. La musique et les poèmes que nous avons partagés ne sont pas un simple "divertissement", mais plutôt un processus de réparation. Nous devons remettre en question la conscience coloniale et reconnaître que "l'Afrique nous appartient" afin de sortir de la mentalité de victime. Le concept de ramatriement est donc lié à cette récupération spirituelle, la conscience rastafari étant le fondement et l'inspiration du ramatriement des Africain.es.  

Le Dr Davis-Kahina ChenziRa (directrice du Centre culturel des îles Vierges et des Caraïbes) a ensuite répondu à Ras Cos Tafari avec révérence et respect pour les Rastafaris qui ont été à l'avant-garde du ramatriement. "L'Afrique est notre racine", a-t-elle dit, et elle a célébré l'énergie spirituelle collective et les conseils de nos aînés et aînées. Reprenant les références du Dr Boyd au tissu, elle a noté que nous sommes tous les fils d'une tapisserie, que nous faisons tous ce travail ensemble, chacun jouant son rôle. Elle nous a demandé de réfléchir à ce que nous allions faire après cet atelier en réponse aux "versations" (et non aux conversations) qui ont eu lieu. Pour elle, le ramatriement se traduit oralement par "Rema'atriation", en référence aux sept concepts de Ma'at : vérité, équilibre, ordre, harmonie, droiture, moralité et justice. Tout comme le Dr Boyd a souligné l'importance du tissu et du coton pour dynamiser notre corps et du vêtement comme l'un de nos besoins fondamentaux, le Dr ChenziRa a parlé de la nécessité de prêter attention à nos besoins fondamentaux, notamment à ce que nous mangeons pour nous assurer de conserver notre énergie spirituelle. En nous reconnectant aux anciens héritages ancestraux africains, nous facilitons notre capacité à guérir. Mais nous devons également nous assurer que nous travaillons ensemble. Nous devons tirer tous les fils ensemble pour créer notre tapisserie (notre tissu). De cette façon, nous pouvons guérir les effets du Maangamizi (et sa perturbation intentionnelle de l'humanité africaine) en appliquant les anciens principes africains de Maat et Ubuntu. 

Notre dernier intervenant était Dan Okyere Owusu (consultant en production et éducation aux médias, et réalisateur de films, Boston, MA, USA) qui a défini le concept de "Tarzanisme" ou l'extractivisme des médias (occidentaux) et la façon dont ils produisent des messages sur l'identité des Africain.e.s, qui deviennent ensuite une partie de notre imaginaire commun. Au lieu de "recevoir les messages des autres sur qui nous sommes, nous devons nous définir à travers nos propres histoires", a-t-il déclaré. Il travaille en partenariat avec Medegbe TV (Bénin) et Ghana TV, ainsi qu'avec son propre Africa Gateway Online (AGO), pour former les gens à raconter leurs propres histoires centrées sur les Africain.e.s et à transmettre ensuite ce savoir aux générations suivantes. La récupération des histoires par le biais de la narration orale, en utilisant les langues et les technologies indigènes, signifie que les médias "peuvent être nos amis si nous les produisons". Cette reconquête de l'identité par le pouvoir de la narration et des médias permet donc aussi au ramatriement de guérir la désinformation qui nuit à l'Afrique et aux communautés du patrimoine africain à travers le monde.  

Les discussions finales ont soulevé un certain nombre de questions différentes qui alimenteront les ateliers ultérieurs, y compris le 20e anniversaire de la Déclaration de Durban qui n'est pas commémoré par les États occidentaux, mais qui constitue une étape importante en termes de réparation (Barryl Biekman), la nécessité de relier différentes luttes pertinentes pour la diaspora africaine (Tony Van Der Meer), l'importance de relier le ramatriement à la récupération de la terre (Kofi Mawuil Klu), ainsi que les difficultés de négocier avec l'Union africaine, puisque ce corps d'États membres était un chemin préparé par le colonialisme (Wale Idris Ajibade). Enfin, Tony a soulevé la question de la création d'une déclaration commune sur les problèmes qui se posent en Haïti, en Colombie, à Cuba et en Afrique du Sud. Nous avons décidé de mettre en place une réunion spéciale sur ce que nous pouvons faire concrètement pour soutenir les efforts existants dans ces pays.

Car, comme l'a conclu Kofi, le ramatriement consiste aussi à "répondre à la situation critique des Africain.e.s dans le monde". 

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